21.09.2021

Un jour vinrent les hommes


UN JOUR VINRENT LES HOMMES

Mythe du Guatemala

Issu du livre « Mille ans de contes », Editions Milan Jeunesse 2007, page 42.


« Quand les hommes n’existaient pas encore, ni la terre, ni les animaux, vivaient deux dieux, Hurakan et Gucumatz. A cette époque, tout était sous l’eau, et seuls les dieux puissants planaient  au-dessus de cette masse aquatique. Un jour, las de n’avoir que cette grande étendue de bleu à contempler, Hurakan et Gucumatz, ceux qui donnent la vie, crièrent de toutes leurs force :

  • TERRE !

Et dans la seconde qui suivit, la Terre émergea des flots.

Ce furent d’abord les montagnes qui sortirent, puis les collines et les vallées. Les dieux étaient ravis de cette nouvelle compagne, et eurent vite fait de penser qu’il fallait la peupler. Parmi la végétation luxuriante qui couvrait monts et vaux, ils placèrent des animaux de toutes les espèces. Fiers de leur création, ils exhortèrent reptiles, mammifères, poissons et autres à célébrer, eux, leurs créateurs. Mais, en guise d’hommage, ce ne fut que piaillements, rugissements, grognements, cris de toutes sortes. Furieux de ne pas être fêtés comme ils l’espéraient, Hurakan et Gucumatz décidèrent que le sort des animaux serait d’être tués et mangés par un prédateur. Mais quel serait-il ? Il n’était pas question de donner ce rôle à l’éléphant ou à l’orque, tous deux aussi incapables que les autres de leur adresser des prières.

Alors Hurakan eut l’idée de créer des hommes d’argile. Voilà qui clouerait le bec à ces païens d’animaux ! Mais les hommes d’argile se révélèrent être de piètres prédateurs, car ils ne pouvaient ni remuer la tête ni parler, ni encore moins comprendre. L’argile ne convenait pas ? Qu’à cela ne tienne, Hurakan allait fabriquer des hommes en bois ! Mais ceux-ci étaient sans intelligence, sans cœur, ignorants de leurs auteurs. Fou de rage, le dieu voulut les détruire à jamais, mais il en oublia quelques-uns, qui devinrent les petits singes des bois.

Le problème restait entier. Comment créer une espèce toute puissante sur Terre ? Les dieux réfléchirent plusieurs jours et finirent par avoir une idée : ils allaient créer quatre hommes de maïs jaune et blanc. Sans plus attendre, ils se mirent au travail. Sans nul doute, ces quatre hommes seraient parfaits : intelligents, forts, courageux et tout dévoués à leur créateur… Un peu trop parfaits peut-être ! Et si l’envie leur prenait de vouloir être dieux à leur tour ? Hurakan et Gucumatz les affligèrent d’une vue médiocre pour les handicaper un peu. Mais, décidément, il manquait quelque chose, pensaient-ils. Voilà, il leur fallait des compagnes ! Aussitôt dit, aussitôt fait : sur la Terre sombre vivaient désormais quatre couples, ancêtres de l’humanité.

Au début, tout se passa bien. Selon l’ordre des choses, les hommes se nourrissaient de végétaux grâce à la cueillette, et d’animaux grâce à la chasse. Mais bientôt il y eut des voix pour s’élever contre le manque de lumière.

  • Comment chasser dans une telle obscurité ? demandaient les hommes.
  • Comment reconnaître nos enfants dans le noir ? demandaient les femmes.

Ils partirent alors parcourir le monde à la recherche de lumière. Les dieux mettraient bien un signe sur leur chemin ! Des semaines durant, ils marchèrent, franchirent des rivières et des montagnes, sans trouver la moindre solution pour vaincre cette nuit. Ils finirent par atteindre le pays de Tullan.

Il régnait là un froid terrible. Pourtant, les hommes patientaient, dans l’attente d’un signe des dieux.

Emus par tant de persévérance, Hurakan et Gucumatz décidèrent de faire quelque chose. Hurakan prit ses sandales et les frotta l’une sur l’autre, faisant jaillir des étincelles avec lesquelles il créa le feu. Parce qu’il faisait froid, il pensa avec sagesse que cela servirait aux hommes. Comme si l’histoire se répétait, les humains furent d’abord heureux de leur nouvelle condition de vie. Mais très vite ils voulurent plus : le froid et l’humidité persistaient et le feu n’y faisait pas grand chose ! Sous la conduite d’Hurakan ils quittèrent Tullan pour le pays Queshua. Mais le chemin était long et fatigant.

Les plus vaillants arrivèrent vite à destination, mais certains couples restèrent en arrière et tous finirent par se perdre de vue. Leur langage évolua et ils ne se comprirent plus. Ainsi chaque couple partit de son côté, avec sa propre langue, pour créer son propre peuple.

  • A force d’incantations, les dieux finiront bien par user de leur sagesse pour nous sauver de ce froid et de cette humidité ! » pensaient les hommes.

En effet, Hurakan et Gucumatz voyaient bien que leur progéniture ne survivrait pas longtemps, sans chaleur ni lumière. Alors ils créèrent une boule de feu, le Soleil, un disque d’argent, la Lune, et une pluie de pierres précieuses, les étoiles.

Dans leur grande sagesse, Hurakan et Gucumatz avaient enfin trouvé le parfait équilibre de l’univers, et plus jamais ils n’entendirent les hommes se plaindre. Du monde d’en bas ne leur parvenaient que les prières et les incantations du peuple quiché en l’honneur des deux grands dieux créateurs de l’humanité. »


Pensées semences

« Après s’être levé à l’Occident, le Soleil de la réalité essentielle ne se couchera plus puisque cet Occident qui le voilait et le scellait est devenu le lieu même où il se lève et resplendit. Il ne sera plus jamais occulté. Comme l’a dit quelqu’un : le soleil diurne se couche la nuit mais le Soleil des cœurs ne disparaît jamais »[1].

« La pensée créatrice, (…) enveloppant les cercles et leur imprimant une rotation rapide, ramena ses créations sur elles-mêmes et les fit tourner de leur principe à leur fin comme entre deux limites inaccessibles, car là où tout finit, tout commence éternellement »[2].

« L’eau descend naturellement vers la vallée parce que sa nature le veut ainsi mais sous l’influence de la Lune, là-haut dans le ciel, elle abandonne et oublie sa propre nature et remonte le courant. Remonter à la source, c’est élever l’œuvre »[3].


[1] Plutarque, Isis et Osiris, traduction de Mario Meunier, réédition Paris 1992, p. 116.

[2] Hermès Trismégiste, traduction Louis Ménard, réédition Paris 1977, page 6 et 7.

[3] Maître Eckhart.

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